Général Bruno Dary: «Et, toi, soldat inconnu, que dis-tu?»

Alors que la célébration du centenaire de l’Armistice suscite une polémique, le président du Comité de la Flamme sous l’Arc de triomphe* interpelle le soldat inconnu comme le fit Georges Clemenceau dans son livre Grandeurs et misères d’une victoire(1930).

Toi, soldat inconnu, dont le silence et le sacrifice font la grandeur, que dis-tu de cette controverse ou, du moins, de ce malentendu? Au moment où le pays s’apprête à célébrer le centenaire du 11 novembre 1918, que dis-tu de ces propos douteux sur l’utilité de tes souffrances et de ta mort, comme sur l’importance de ta victoire? Toi qui reposes sous cette arche immense, qui es à la fois soldat français, héros anonyme et célèbre, que dis-tu à ceux qui oublient que sur ta tombe est inscrite cette simple épitaphe: «Ici repose un soldat français, mort pour la Patrie»? Toi qui es enterré ici, mais dont le tombeau est aussi le cénotaphe de tes quelque 1.400.000 frères d’armes morts pour la France au cours de la Grande Guerre, que dis-tu de ceux qui ne voient en vous que des «civils armés», quand toute la nation était derrière vous? Toi qui étais instituteur, paysan ou mineur, peut-être pêcheur, étudiant ou gradé, que dis-tu à ceux qui voudraient faire une différence entre ceux du front et ceux de l’arrière?

Toi qui es mort dans le fracas de combats inhumains, que dis-tu, cependant, de l’hommage sans pareil qui te sera rendu par plus de cent chefs d’État, venus du monde entier se recueillir sur la tombe d’un simple soldat et se souvenir de votre sacrifice? Toi qui as disparu sur un champ de bataille, au hasard d’un clair matin ou dans un ultime assaut, comme simple sentinelle ou modeste fantassin, que dis-tu de te voir honoré au cœur de Paris, où le monde entier aura les yeux focalisés sur une sobre sépulture, au milieu de «l’appareil des grandes funérailles»? Toi qui es mort loin de chez toi, dans le tumulte des combats, que dis-tu de voir ainsi mis à l’honneur par le chef de l’État, une semaine durant, les plus grands champs de bataille, théâtres des plus grands sacrifices? Toi qui as été pleuré par une mère, un père, une épouse, des enfants, des amis, et puis avec le temps, qui n’es devenu qu’un nom gravé en lettres d’or sur nos places, que dis-tu de l’hommage quotidien qui t’est rendu depuis près d’un siècle au cœur de Paris, au moment où le jour décline?

Toi qui nous permets aujourd’hui de vivre librement dans un pays en paix et une Europe réconciliée, que dis-tu à ceux qui écrivent que votre combat n’était qu’une «boucherie» ?

Toi qui nous permets aujourd’hui de vivre librement dans un pays en paix et une Europe réconciliée, que dis-tu à ceux qui écrivent que votre combat n’était qu’une «boucherie», que ton sacrifice et celui de tes compagnons d’armes ont été inutiles, quand bien même resterait-il incompréhensible à notre regard d’hommes contemporains? Toi qui as eu la pudeur de rester anonyme, sans que personne ne connaisse ni ton nom, ni ton grade, que dis-tu de ces critiques, cherchant à diviser les chefs de leurs soldats, oubliant que tous, vous avez supporté ensemble la vie des tranchées? Toi qui es parti de chez toi, pour une guerre que d’aucuns annonçaient courte, fraîche et joyeuse et qui, au fil des mois, est devenue longue, triste et lugubre, que dis-tu à ceux qui voudraient prétendre que le pays n’a pas été uni du premier au dernier jour, derrière ses poilus? Toi qui es mort trop tôt pour recueillir les fruits de la victoire, que dis-tu à ceux qui voudraient rabaisser le mérite de tes chefs, et oublier d’honorer l’ensemble des maréchaux? Et que dis-tu à ceux qui ont oublié que la sonnerie du cessez-le-feu fut pour tous les pays engagés un grand soulagement pour la paix retrouvée, mais aussi une vraie amertume au vu du prix payé? Ne penses-tu pas qu’il est temps, en honorant ta victoire, de célébrer aussi la réconciliation des peuples?

Quoi que tu penses de ces querelles, soldat inconnu, qui as mérité mieux que le Panthéon comme sépulture, sois sûr que tant qu’il restera des anciens combattants, ardents et bénévoles, des chefs d’État et des ambassadeurs sensibles au sens de ton engagement, la Flamme qui brûle jour et nuit sur ta tombe restera pour toujours la «Flamme du souvenir».

Toi qui es mort pour défendre chaque arpent de terre de notre pays, sois certain que tant qu’il restera des associations, des corps constitués, des sportifs, des artistes et des élus prêts à se déplacer pour honorer ta mémoire, cette Flamme restera la «Flamme de la Nation».

Toi qui es tombé pour que tes enfants vivent librement, sois rassuré: tant que des collégiens, des lycéens et des étudiants, à l’instar de ceux qui se sont rassemblés pour t’honorer le 11 novembre 1940 malgré l’interdiction de l’occupant, des scouts, des guides et des jeunes de tous horizons et de toutes nations viendront raviver la Flamme, elle restera la «Flamme de l’Espérance»!